Le têtard by Jacques Lanzmann

Le têtard by Jacques Lanzmann

Auteur:Jacques Lanzmann [Lanzmann, Jacques]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: France Loisirs
Publié: 1977-10-14T22:00:00+00:00


Chapitre V

La veille de Pâques, avec l’Auguste qui avait repris du poil de la bête et retrouvé une espèce de santé, on avait charrié plein de seaux d’eau chaude dans des baquets et l’on s’était lavés à fond. Fallait se présenter propre et pur devant Jésus. Exceptionnellement, on avait fermé le moulin et le silence, alentour, était très impressionnant. De notre peau, il sortait plein de farine qui faisait des boulettes de pâte quand on se frottait. Auguste s’était lavé dans sa chambre, on avait allumé le poêle et calfeutré tous les courants d’air pour éviter qu’il n’attrape un chaud et froid. Le René et moi, on s’était mis tout nus dans le même baquet et il n’arrêtait pas de me regarder la quéquette en coin. Ça me gênait. Il n’y avait pourtant rien d’équivoque dans son regard. René, ça n’était pas René Raymond. Pas d’équivoque, mais de la surprise. Au bout d’un moment, j’ai dit :

— Y’a quelque chose qui cloche René ?

Il a détourné la tête.

— Non, non, rien.

Et puis, s’apercevant qu’il mentait la veille de Pâques, il s’était repris en bafouillant :

— Enfin, heu… je croyais que les juifs, c’était pas comme moi.

Il avait désigné sa quéquette à lui, tout enveloppée dans sa peau comme une banane. La mienne était exactement comme la sienne, en plus petit, et je lui avais dit :

— C’est vrai, mais moi je ne suis pas coupé.

J’avais dit « coupé » parce que je ne connaissais pas le mot exact. Une fois, à Melun, j’avais confondu circoncis et circonscrit. Strachemeyer s’était mis à rire en disant que je n’étais pas un incendie mais un juif.

Dans le baquet, j’avais expliqué à René que mon père avait oublié de me faire baptiser. Ça lui avait fait vraiment plaisir, au René, que je sois comme lui, bien dans ma peau et tout entier. J’ai dit :

— Tu crois que le Bon Dieu en tiendra compte ?

— Le Bon Dieu, tu sais, c’est pas la quéquette qu’il regarde.

J’avais eu envie de lui demander « Mais qu’est-ce qu’il regarde le Bon Dieu ? ». Je ne l’ai pas fait. Je savais qu’il m’aurait répondu : « L’âme. » Je pensais que la quéquette, c’était tout de même plus facile à regarder et ça m’aurait arrangé qu’il la vît, qu’il ne vît qu’elle.

Je n’étais jamais entré dans un confessionnal et quand mon tour d’y pénétrer fut venu, ça battait drôlement fort dans ma poitrine. Qu’est-ce qu’il allait me demander « La Bécane » et qu’allais-je bien pouvoir lui répondre ? Poussant le rideau de velours noir, je m’en remis à la grâce de Dieu et entrai dans ce grand cercueil qu’on avait mis debout. À l’intérieur c’était sombre et mystérieux et, de l’autre côté du grillage, on aurait dit que l’abbé s’était posé une voilette sur le visage. Sous ça voilette, la bouche avait murmuré :

— Approche un peu, petit, que je voie tes traits.

J’avais approché mon visage du grillage et senti son haleine. « La Bécane »



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